[NOMADE DES MERS] Living Energy Farm: Une communauté hors des énergies fossiles ?

Carnet de bord

Date de publication : November 3rd, 2021
Auteur : Guénolé Conrad
Localisation : Louisa, Virginie, USA

Durant leur escale américaine, l’équipage du Nomade des Mers s’est rendu dans les plaines verdoyantes de la Virginie, à la rencontre de la Living Energy Farm. Une communauté intentionnelle, d’une douzaine de personnes, parvenue à un niveau impressionnant d’autonomie énergétique et alimentaire grâce aux low-tech !

LA VIDEO DE CETTE RENCONTRE

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©Sidonie Francès/Low-tech Lab

Lors de notre arrivée aux Etats-Unis, la présentation de notre projet débouchait souvent sur sourire accompagné de la question suivante : “Are you sure you’re in the right country ?”. On doit l’avouer, ça n’est pas la première image qui vient à l’esprit lorsque l’on parle des “States”. Pourtant, même au pays du consumérisme triomphant, des personnes ont choisi une vie sobre et heureuse. C’est le cas d’Alexis Ziegler, un des fondateurs de la Living Energy Farm (LEF). Une communauté intentionnelle d’une douzaine de personnes, vivant et travaillant ensemble dans le village de Louisa en Virginie.
Leur projet ? Faire la preuve qu’une vie épanouie et confortable est possible hors des énergies fossiles.

« A la LEF, on expérimente depuis 10 ans, des technologies réellement soutenables et accessibles à l’ensemble de l’humanité. Nous accordons une grande importance à ce que notre mode de vie et les systèmes que nous produisons puissent être reproductibles par l’ensemble de la population. Sinon, l’écologie restera le domaine de quelques privilégiés. »

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Alexis Ziegler, l'un des fondateurs de la Living Energy Farm. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

Nous avions rarement visité un endroit aussi avancé en termes de low-tech. Ces gens avaient expérimenté, pendant plusieurs années, au même endroit, en complémentarité, la quasi-totalité des systèmes que nous avons étudiés au cours de ces 5 années de voyage. La production et la gestion de leur énergie est sans doute le domaine où leurs expérimentations ont été le plus loin. Toute la communauté est alimentée grâce à un micro-réseau photovoltaïque en courant continu (DC) et en utilisation directe. C’est-à-dire (quasiment) sans stockage batterie, ni électronique ! Le jour se lève, les moteurs tournent. La nuit tombe, ils s’arrêtent. Cette approche apporte une réponse concrète, relativement unique à cette échelle, aux problématiques liées à l’énergie photovoltaïque et à l’autonomie. Alexis nous explique les grands principes énergétiques mis en œuvre chez eux :

1. Le niveau communautaire
« A la LEF, la coopération est de loin notre « technologie » la plus importante. Vivre à l’échelle d’une communauté, nous permet de réduire radicalement la quantité et le coût de l’énergie à produire par personne pour vivre à un niveau de confort similaire aux autres, sans utiliser d’énergies fossiles. C’est également extrêmement précieux de profiter des compétences et de l’énergie de tout un groupe pour subvenir à ses besoins, chacun à la mesure de ses capacités et de son âge. »

2. Des bâtiments super-isolés
« Nos bâtiments sont pensés à échelle collective. Quelques grands espaces, plutôt que de nombreux petits, et des murs très épais. Dans notre cas, des bottes de paille de 60cm d’épaisseur, enduites de terre. Des matériaux peu chers et disponibles localement. Réduire ses besoins en énergie est toujours plus rentable que de la produire.»

3. Limiter les besoins en énergie électrique et utiliser des moyens de stockages peu chers
«L’énergie électrique est relativement chère et polluante à produire et stocker. Pour de nombreuses applications, elle n’est pas pertinente. Par exemple, pour chauffer sa maison ou son eau. Ici, nous utilisons l’énergie solaire thermique :

  • Sur les toits orientés Sud de nos bâtiments, nous avons installés des capteurs solaires thermiques. L’air chaud est envoyé dans le sol des bâtiments, qui sert de batterie thermique, grâce à une soufflerie. C’est extrêmement efficace et peu couteux par rapport à un radiateur électrique. Cela nous permet d’avoir recours au bois de chauffage qu’une quinzaine de jours par an, lorsque les températures sont vraiment négatives. En été, ce système nous sert de séchoir solaire à échelle industrielle pour conserver nos graines et nos fruits.

  • De même, nous avons des chauffe-eaux solaires sur les toits. L’eau chaude est envoyée à l’aide de petites pompes DC dans 3 ballons d’eau chaude de 400L. Cela a un prix, mais permet de compenser l’intermittence du soleil et de profiter d’une eau chaude à profusion, même la nuit, sans chauffe-eau électrique, ni de batteries chimiques.»

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Les facades Sud des batiments de la Living Energy Farm sont bardées de panneaux solaires thermiques pour le chauffage et l'eau chaude. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

4. Un micro-réseau solaire DC en utilisation directe.
«A la LEF, nous n’utilisons pas de courant alternatif (AC ~220V) comme dans la plupart des maisons. Tous nos équipements fonctionnent avec des moteurs en courant direct (DC). Pourquoi?

Le courant alternatif AC a l’avantage de se déplacer facilement sur de grandes distances mais à un gros inconvénient: les équipements à courant alternatif sont très peu flexibles. Ils ne peuvent supporter que de très faibles variations de tensions sans s’endommager. Cela nécessite beaucoup d’électronique pour obtenir le bon signal d’entrée (régulateur de tension, onduleur…). Les moteurs DC en comparaison, sont robustes et peuvent supporter de grandes variations de tension en entrée. On peut donc utiliser l’électricité des panneaux photovoltaïques en direct, sans aucune régulation. C’est beaucoup moins cher et beaucoup plus résilient.

Autre avantage, nous pouvons faire fonctionner des moteurs qui dépassent la puissance totale présumée du parc photovoltaïque. Avec 1,4kW de panneaux PV nous pouvons faire tourner plusieurs moteurs qui demanderaient, chacun, cette puissance pour fonctionner en AC. Les moteurs accélèrent ou ralentissent simplement en fonction des fluctuations de l’alimentation, mais ils fonctionnent. C’est la magie des moteurs DC !

Ce système nous permet de faire tous types de travaux. Nous pompons de l’eau, nous faisons du froid, nous coupons du bois, nous broyons du grain, nous lavons du linge et nous faisons fonctionner une foule d’outils d’atelier. C’est vraiment un super système.»

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L'installation principale de panneaux PV - 1400W 180VDC ©Sidonie Francès/Low-tech Lab
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La scie à ruban, comme toutes les machines de l'atelier, est reliée directement aux panneaux PV. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

5. Plusieurs circuits de production photovoltaïque indépendants
« Notre micro-réseau est composé de plusieurs circuits indépendants :

  • Un circuit en 180V DC en consommation directe, pour faire fonctionner toutes les machines de l’atelier, les souffleries pour le chauffage, la pompe du puits et les machines de transformation alimentaire.
  • Un circuit en 12V pour la lumière
  • Un circuit en 12/24V pour les téléphones, les ordinateurs et le frigo.
  • 3 circuits en 12V pour alimenter les pompes des chauffe-eaux solaires.
    Ces multiples circuits nous assurent une résilience totale. En cas de panne sur l’un des circuits, les autres peuvent compenser. Ainsi en 8 ans, nos lumières ne se sont jamais éteintes, nous surfons sur le net autant que nous le voulons, nous avons de l’eau chaude à volonté. »
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Pour recharger son téléphone ou son ordinateur, ici on utilise prises allume-cigares. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

6. Des batteries durables
« 90% de l’électricité produite par notre réseau est consommée en direct et ne passe pas par des batteries. Mais pour la lumière, l’accès à internet, la recharge de nos appareils électroniques la nuit, nous avons tout de même quelques batteries. Mais pas les batteries au plomb ou au lithium ! Elles sont extrêmement fragiles et doivent être remplacées environ tous les 5 ans.
Nous utilisons des batteries Fer-Nickel (NiFe). Inventée en 1901 par Thomas Edison, ces batteries n’ont jamais été égalées pour leur robustesse et leur longévité. Elles sont plus chères à l’achat et moins denses en énergie mais leur grande tolérance aux abus (charge partielle prolongée, court-circuitage, décharges profondes prolongées, chocs mécaniques, gel) permet une grande tranquillité d’esprit pour au moins 30 ans, la durée de vie de nos panneaux solaires. »

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Les batteries Fer-Nickel. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

7. Cuisiner aux énergies renouvelables
« La nourriture est essentielle à la vie, mais son stockage et sa préparation ont un prix. Voici les solutions que nous avons trouvées.

Pour la conservation :

  • Faire des conserves, de la déshydratation solaire et de la fermentation pour valoriser nos surplus et constituer des réserves pour l’hiver.
  • Utiliser un frigo solaire DC direct super-isolé. Nous ne l’avons pas construit, il est vendu par l’entreprise Sundanzer. Nous l’adorons ! Il produit du froid lorsqu’il y a du soleil et le conserve la nuit grâce à des parois très épaisses. Par rapport à un frigo qui fonctionnerait sur batterie dans une installation PV classique, nous réalisons 95% d’économies.

Pour la cuisson:
Nous utilisons tout un mix de solutions : biogas, rocket stove, four solaire thermique et dernièrement un four solaire photovoltaïque ! Chacun à des avantages et des inconvénients. »

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Les concentrateurs solaires utilisés pendant plusieurs années. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab
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Le biodigesteur produit du gaz pour la cuisson nocture. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab
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Un four, très isolé, construit par Alexis et alimenté en direct par ses panneaux solaires. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

8-Faire pousser ses carburants
« Nous utilisons de petits tracteurs pour réaliser des taches agricoles. J’ai voulu tester dans quelle mesure il était possible de produire nous même les carburants et lubrifiants nécessaires à leur fonctionnement. J’ai longtemps été fasciné par les gazogènes. Des moteurs fonctionnements par pyrolyse du bois, comme cela se faisait en Europe pendant la seconde Guerre Mondiale. Ils se sont avérés trop compliqués (et un peu dangereux…). Aujourd’hui, nous privilégions l’essence de térébenthine. »

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Le tracteur gazogène en activité. ©Sidonie Francès/Low-tech Lab

Voilà pour le volet énergétique, mais l’autonomie alimentaire atteinte par cette communauté est tout aussi impressionnante, bien que reposant sur des méthodes plus diffusées, telle que la permaculture.

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©Sidonie Francès/Low-tech Lab

Par ailleurs, la communauté tire ses quelques revenus de la vente de semences paysannes et procède à des échanges de travail et de produits avec les communautés voisines. En particulier celle de Twin Oaks, un écovillage pionnier hébergeant plus de 100 personnes depuis 1967.

Nous revenons au bateau, de l’énergie et des rêves pleins les yeux. Des verrous technologiques viennent de s’ouvrir dans nos têtes. Mais accompagnés de questions ; Pourquoi l’utilisation des réseaux DC n’est-elle pas plus courante s’ils ont autant d’avantages ? Alexis a son idée sur la question. En résumé, de vieilles habitudes prises à la fin du 19ème siècle pour des raisons qui ne s’avèrent plus d’actualité mais qui restent très lucratives… Cet article du Low-tech Magazine revient sur ces choix historiques: ICI

Rencontrer cette communauté nous a donné un espoir brillant en un avenir low-tech possible pour toutes et tous ! Merci à ces pionniers pour leurs enseignements, leurs partages et leur accueil.

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