[COMMUNAUTES] Générations Low-tech

Article
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Date de publication : 11 avril 2023
Contenus : Le groupe Sciences Po - Low Tech : Augustin, Anjali, Marius, Sasha, Ombeline, Emma, Graziella, Marie.
Lieu : Grenoble

De septembre à décembre 2022, une série de rencontres insolites eut lieu autour de la place Saint-Bruno à Grenoble…

Récit d’un projet intergénérationnel au cours duquel étudiants, retraités, collégiens et bénévoles du Low-Tech Lab Grenoble et de la Maison des familles se réunirent pour une réflexion commune sur l’usage de la technologie.

Une même place, mais deux mondes séparés #

Quand avez-vous débattu de l’évolution de la société avec une personne issue d’une autre génération que la vôtre, qui ne soit pas votre grand-père ou votre petite-fille ?

Vous ne vous en souvenez pas ?

Nous non plus, avant ce projet. Et pourtant, les différentes générations cohabitent, se croisent, se voient. Elles partagent une même ville, un même immeuble, un même marché, une même place. Mais elles ne se parlent pas, ou si peu. Est-ce par désintérêt ? Ou simplement, parce qu’il manque une occasion propice à ce que tous les âges dialoguent ?

Le projet « Générations Low-Tech » est né de cette volonté de favoriser l’émergence d’un lien intergénérationnel au cœur du quartier Saint-Bruno, à Grenoble. Cet ancien faubourg ouvrier, devenu quartier vibrant aux identités multiples, rassemble sur sa place centrale un EHPAD, un collège, et une association d’aide aux familles en situation de précarité. Aude, habitante du quartier et bénévole dans plusieurs associations, dont le Low-Tech Lab de Grenoble, décida, un soir de confinement, d’établir le contact entre ces mondes proches mais distincts. Elle envoya, avec son fils, des signaux en morse aux résidents de l’EHPAD voisin. Au même moment, Catherine, professeure de français au collège, initia un premier échange épistolaire entre des adolescents et des enseignants du collège, et des résidents de l’EHPAD volontaires. Les liens se tissèrent et se renforcèrent au fil de nouvelles correspondances, rencontres et projets.

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Cartographie imagée du projet - Aude Mingam

Une nouvelle expérience intergénérationnelle autour des low-tech #

C’est dans ce contexte qu’un trio enthousiaste et déterminé à prolonger ces liens contacta un groupe d’étudiants de Sciences Po Grenoble. Aude, accompagnée de Françoise, animatrice de l’EHPAD, et Catherine, professeure de français au collège, nous proposèrent une mission : poursuivre cette mise en dialogue des différentes générations de Saint-Bruno autour du thème des low-tech et, plus généralement, de la transition écologique.

En croisant la question du lien intergénérationnel et celle de l’usage de la technologie, nous nous sommes rendu compte que d’une certaine façon, les low-tech avaient toujours existé : elles étaient, encore à l’époque de nos grands-parents, omniprésentes dans la société, puisqu’il n’existait pas encore d’autres façons de faire. C’est cela qui donne tout son sens à l’implication conjointe de résidents d’EHPAD et de collégiens dans ce projet : il s’agit en effet des “deux extrémités de notre monde, les plus âgés et les plus jeunes”, selon les termes de Romain, bénévole au Low-Tech Lab de Grenoble. Entre des personnes ayant vécu la guerre et connu un monde sans télévision, téléphone, machine à laver ni supermarché, et des personnes nées à l’ère du tout-numérique, de la mondialisation effrénée, des réseaux sociaux, des transports toujours plus rapides, etc., il y a un monde ; et c’est ce monde que nous avons cherché à explorer.

Le projet s’est déroulé de mi-septembre à mi-décembre 2022. Durant ces trois mois, nous avons organisé six rencontres de formats variés. Nous avons d’abord rencontré individuellement les résidents de l’EHPAD, puis les collégiens, pour familiariser ces deux publics au thème des low-tech et sonder les premières réactions et prises de parole. Puis nous avons organisé deux rencontres collectives, l’une au CDI du collège, l’autre dans la salle commune de l’EHPAD, durant lesquelles des petits groupes composés d’un résident, de deux ou trois collégiens et d’un étudiant ou d’un encadrant, ont pu échanger leurs points de vue et leurs histoires personnelles liées à l’évolution de la technologie. Outre le débat, les groupes se sont attelés à la rédaction d’articles destinés à l’édition spéciale du journal du collège, Le P’tit Fantin.

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Rencontre avec les résident·es de l'EHPAD
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Rencontre Collective au CDI du collège
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Rencontre Collective au CDI du collège

Enfin, la dernière réunion des participants eut lieu à l’occasion de la soutenance de notre projet, à Sciences Po Grenoble, un matin très spécial de décembre où la neige décida de compliquer le voyage des habitants de Saint-Bruno… Un moment émouvant et chaleureux.

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Soutenance du projet

Notre regard d’étudiants en sciences politiques #

A l’issue du projet, nous avons rédigé un rapport destiné à analyser le contenu des échanges d’un point de vue sociologique et politique, afin d’élargir la réflexion et de rechercher les multiples et complexes enjeux des low-tech qui transparaissent dans cette expérimentation à l’échelle du quartier Saint-Bruno.

Les rencontres ont fait émerger des questionnements sur le gain de temps et de liberté occasionné par la technologie (notamment pour les femmes, dans le cadre des tâches ménagères), contrebalancé par la perte de convivialité (l’exemple des veillées est mentionné) et de savoir-faire (à l’instar des nombreux métiers disparus : allumeur de réverbère, rétameur de casseroles, rémouleur, affûteur…). La thématique du confort et de l’aisance est également abordée : dans leur jeunesse, la vie des résidents de l’EHPAD était, à de nombreux égards, plus rude, entre les lavages à la bassine, l’absence de toilettes dans la maison, ou encore l’alimentation simple, liée aux cycles des saisons, aux mauvaises récoltes, voire aux rationnements et aux manques de la guerre - incomparable avec la surabondance alimentaire dont bénéficie aujourd’hui la grande majorité de la population des pays développés, au prix d’une dépendance à l’import, aux intrants chimiques, aux serres chauffées… Une autre question centrale portée par les résidents de l’EHPAD est celle de la satisfaction et du bonheur : “pourquoi les jeunes d’aujourd’hui ne sont-ils jamais satisfaits ?” “avez-vous conscience de la chance que vous avez de ‘tout avoir’ ?” - question toutefois contradictoire, car les résidents répètent à plusieurs reprises que leur bonheur était déconnecté de leur confort ou de leurs possessions : “on n’avait rien, mais on n’était pas malheureux”. L’omniprésence du téléphone portable et des écrans ressort également : quelle place reste-t-il pour la vie réelle, les rencontres, les échanges, face à cette vie virtuelle toujours plus envahissante ? (et pourtant créatrice de liens à sa façon, comme le reconnaissent les participants, dans cette perpétuelle ambivalence de la technologie). A l’inverse, les collégiens s’interrogent : comment faisait-on pour se rencontrer, se soigner, se distraire, dans cette société dépourvue des moyens de communication actuels ?

Malgré la vision critique de la technologie portée par certains résidents particulièrement actifs au cours des débats, les échanges nous ont beaucoup surpris dans leurs conclusions : les participants de tous âges ont souvent abouti, notamment dans la rédaction de leurs articles pour le journal du collège, à un consensus sur le progrès occasionné par la technologie, plutôt qu’à un propos nuancé retranscrivant les limites évoquées ci-dessus. A titre d’exemple, un groupe intitule son article “La dureté de l’ancien temps sans technologie”. Pourquoi un tel optimisme à l’égard de la technologie ? Du côté des personnes âgées, nous pensons que l’expérience passée de la faim, du froid ou encore de la pénibilité du travail peut expliquer une certaine fascination à l’égard de la technologie. Du côté des collégiens, le terme d’amnésie générationnelle, proposé par le psychologue Peter Kahn, peut être un élément de réponse : il indique que chaque nouvelle génération expérimente un environnement plus dégradé que la précédente, mais en l’absence de point de comparaison avec le passé, prend cet état dégradé pour l’état normal - ce qui empêche une prise de conscience et un passage à l’action pour recréer un environnement naturel sain.

Peut-être notre démarche a-t-elle aussi joué un rôle dans cette conclusion surprenante, axée sur les bienfaits de la technologie. Nous avons en effet tenté de saisir les points de vue des participants de la façon la plus brute, la plus vierge possible, sans noyer les esprits au préalable de connaissances sur les low-tech et leurs justifications. Cela a limité la capacité des participants à débattre sur des thématiques telles que la sobriété, la décroissance, la réappropriation des savoir-faire… Les enjeux de la technologie, ainsi que les alternatives à cette dernière, restent assez méconnus hors de la sphère académique ou militante, et auraient nécessité une contextualisation plus profonde.

En somme, notre projet a ouvert une porte, et a constitué une formidable expérience pour chaque participant. Mais derrière cette porte, il reste de nombreux autres chemins à explorer, que ce soit dans le format des rencontres, dans les thématiques abordées, ou dans l’analyse des échanges… A qui le flambeau ?

Un grand merci pour ces moments magiques.

Le groupe Sciences Po - Low Tech : Augustin, Anjali, Marius, Sasha, Ombeline, Emma, Graziella, Marie.

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