[FILM] Cuba, voyage dans une nation low-tech sur Arte
À l’occasion du tour du monde du Nomade des mers, les équipes chargées de prendre contact avec des porteurs d’initiatives low-tech ont décidé de faire de Cuba un sujet à part entière. Est né le film “Cuba, voyage dans une nation low-tech”, réalisé par Laurent Sardi et diffusé sur la chaine Arte vendredi 13 janvier. Produit par Mediatika et soutenu par Arte, il sera disponible sur le site internet de la chaine franco-allemande jusqu’au 13 mars 2023. Ce film donne l’occasion de se plonger dans un contexte politique et social, teinté de critiques et de rejet mais qui révèle, à l’heure actuelle, un pouvoir de résilience inspirant.
À l’occasion du tour du monde du Nomade des mers, les équipes chargées de prendre contact avec des porteurs d’initiatives low-tech, ont décidé de faire de Cuba un sujet à part entière. Le contexte politique y est pour quelque chose. Placé sous embargo états-unien depuis 1962, le pays a traversé plusieurs décénnies loin des circuits de mondialisation, transformant ainsi un manque d’approvisionnement en une occasion de développer le réemploi et l’innovation locale dans de nombreux domaines de la vie quotidienne.
Pour replacer le film “Cuba, voyage dans une nation low-tech” dans un contexte politique compréhensible de tous, un rappel historique s’impose. “Tabajador, construye su propria maquina” (‘travailleur, construis tes machines ! ‘) ou “obrero construye tu maquinaria” (‘ouvrier, construis tes machines ! ‘) est une formule prononcée par Ernesto “Che” Guevara aux travailleurs cubains.
Un documentaire de Tancrède Ramonet disponible en ligne apporte un éclairage supplémentaire.
L’idée d’une souvereineté technique #
Ce que le Che attendait des Cubains et le contexte géopolitique qui a coupé les habitants de l’île des flux d’approvisionnements, ont façonné un état d’esprit ingénieux et des outils ou techniques hors norme.
Ernesto Oroza (1), artiste-chercheur-designer, cubain, aujourd’hui directeur de la rédaction de la revue de recherche en design Azimut et chargé du troisième cycle à la cité du design de Saint Etienne reprend s’appuie sur ces phénomènes pour parler de design et désobéissance technologique, dont les principes sont présentés dans un entretien publié par la Cité du design de Saint-Etienne.
Dans une parution désormais épuisée, Ernesto Oroza prend appui sur l’exemple du Rikimbilili, objet de mobilité séculaire.
Dans une veine plus académique, l’article de Natalia Calderón Beltrán (2) pour la revue Variationsfait référence à une souvereineté et une lutte technique.
Composer, créer et bifurquer #
Sous l’effet de l’embargo puis des conséqueces liées à l’effrondrement du bloc de l’Est, de nombreux domaines de la vie quotidienne (santé, agriculture, mobilité), nécessitant de la précision et de la rigueur, ont usé de leurs propres moyens pour assurer la continuité des services. Une dynamique soutenue par le principe de libre partage des savoir-faire et des techniques à travers l’île, comme en attestent les parutions de Ernesto Oroza, Le Livre de la famille et Par nos propres moyens.
Aujourd’hui, Cuba, qui a traversé les décénnies avec son lot de difficultés et de réalisations ingénieuses et surprenantes, est observée au regard de ce que certains appellent une crise du capitalisme et des nombreuses conséquences environnementales que le phénomène induit.
Peut-on dire de Cuba, dont le tournant historique a forgé de nouveaux usages, qu’elle est une pionnière de la bifurcation ? Quelle place prennent le bien commun et la démocratie technique dans le discours relatif aux enjeux environnementaux actuels ?
Cette dernière question croise la réflexion qui porte sur le rôle du designer, tel que Olivier Peyricot le présente dans une parution sur le site de la Cité du design de Saint-Etienne.
“Nous sommes confinés durablement dans le capitalisme dont nous n’arrivons pas à imaginer comment en sortir, c’est-à-dire concrètement, comment assurer notre subsistance, notre logistique, notre bien-être autrement. […] Le catalogue des objets bifurquants se déploie sous nos yeux à l’avant-garde des idées et nécessite une mise en forme, un deep design à venir : le respect du vivant, la gestion des ressources, l’égalité des genres, les communs, les pratiques amateurs, le partage, la gratuité, le salaire universel, le système D, l’open source, le logiciel libre, la démocratie technique, …”
FOCUS SUR LE FILM #
Les impressioons de Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz
“Au coeur des Caraïbes l’île est magnifique et pleine de ressources, pourtant la vie d’un cubain est dure et subie, ce qui mêle un sentiment d’émerveillement et de frustration devant ce potentiel. Les dominations américaine et soviétique, les renversements brutaux, son régime actuel et son isolement dû à l’embargo… son histoire chaotique en fait un territoire très particulier. Sous ces contraintes les Cubains ont eu à expérimenter, rapidement, dans tous les domaines et à grande échelle. Ce sont les principales différences avec toutes les autres escales que nous avons faites : alors que nous avions l’habitude de documenter des low-tech appliquées localement pour répondre à un problème spécifique, à Cuba elles ont été développées à grande échelle et dans de nombreux domaines : des milliers de méthaniseurs, un réseau intranet qui relie des milliers de Cubains, des centaines de centres de biocontrôle, une agriculture urbaine très développée.”
Laurent Sardi, réalisateur de “Cuba, voyage dans une nation low-tech”, film de 52 minutes produit par Mediatika.
Low-tech Lab : Quand on évoque Cuba on évoque aussi la contrainte et l’inévitable autonomie des systèmes d’approvisionnement en raison d’un contexte politique et coercitif particulier. Peut-on donner une teneur positive à un film qui porte sur une dynamique sociale d’un pays sous embargo ?
Laurent Sardi : En aucun cas il s’agit de dire que Cuba est un paradis. La situation telle qu’on l’a vue à Cuba est compliquée : très longues queues dans des magasins, étals de magasin vides. Donc l’idée, c’est de dire qu’avec du système D et de la low-tech on peut très bien vivre. L’idée c’est de voir c’est que sous la contrainte naissent des choses intéressantes.
La panorama des applications low-tech à la vie quotidienne est très large dans le film, avez-vous sélectionné des domaines précis ? Est-ce que certaines rencontres ou d’autres domaines d’application ne figurent pas dans les 52 minutes ?
L.S. : Contrairement aux épisodes de 26 mn’ de “Nomade des mers, les escales de l’innovation” (série produite par Mediatika et disponible sur Arte à la demande) on se focalisait sur une low-tech. Cette fois-ci on a voulu être plus empirique et couvrir des domaines très variés. On a sélectionné des domaines précis en essayant d’être le plus exhaustif. Seul le sujet de l’hydratation n’y figure pas car, a priori, nous n’avons pas constaté de problèmes de distribution d’eau.
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(1) Designer et artiste, Ernesto 0roza s’est attaché depuis 1996 à répertorier les inventions vernaculaires de Cuba. Diplômé de l’École supérieure de design de La Havane en 1993, il enseigne de 1995 à 2000 à l’Institut Polytechnique de La Havane et est professeur invité à l’ENSCI à Paris en 1995 et 2004. En 2002, Ernesto Oroza a publié en 2002 en collaboration avec Pénélope de Bozzi, Objets Réinventés. La Création populaire à Cuba. (Source : Cité du design de Saint-Etienne)
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(2) Historienne et politiste de formation, Natalia Calderón Beltrán est titulaire d’un doctoral en Sciences de l’information. Son travail s’est intitulé : «Technocontestations à Cuba : réparations, réappropriations et usages alternatifs de la technique » sous la direction de Fabien Granjon. Cette thèse a été soutenue le 16 octobre 2020. Natalia a également co-fondé la coopérative de formation et de recherche accrédité comme organisme de formation La Boussole elle y conduit des formations atour de l’informatique, les méthodes horizontales de travail et la lutte contre les discriminations. (Source : site de l’univeristé Paris VIII)