[L'EQUIPE DU LOW-TECH LAB] Quentin Mateus, chargé du projet des Enquêtes

Article

Date de publication : 14 février, 2022
Auteur.e.s : Quentin Mateus, Lucile Henriot
Localisation : Concarneau

MAIS QUI SE CACHE DERRIÈRE LE LOW-TECH LAB ? #

Le Low-tech Lab c’est : un bateau, une tiny, des tutos… Mais c’est aussi des humains qui s’affairent au quotidien pour explorer, documenter, transmettre et sensibiliser autour des low-tech. Qui se cache derrière le wiki, les Enquêtes, l’animation des communautés ou encore les réseaux sociaux ? C’est l’heure de la révélation !

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Quentin Mateus © Low-tech Lab

Quentin l’ingénieur designer #

Enfant, Quentin se rêvait designer automobile. Soif d’apprendre, il se lance donc dans des études d’ingénierie à l’UTC (Université de Technologie de Compiègne) après le Bac, pour acquérir le double diplôme d’ingénieur mécanique et de designer industriel. Mais la dissonance ne tarde pas à arriver … Ses stages dans l’industrie automobile et le design industriel le mettent face à une réalité : les activités, les méthodes, les compétences du designer lui plaisent, mais le rôle qui lui est réservé dans notre société ne lui convient pas.

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En conférence © Low-tech Lab

La crise existentielle #

Quentin, c’est aussi un grand passionné de philosophie, de sciences humaines en général et de diversité culturelle. En parallèle de son cursus scientifique et technique à l’UTC, il profite de certains de ses cours pour explorer la question de l’éthique de l’ingénieur, de la place de la technique, du rôle des récits collectifs ou des industries culturelles dans l’évolution de notre modèle de société. En parallèle, plusieurs échanges ou stages à l’étranger, dans des contextes variés — 6 mois au Brésil, au cœur de l’Angleterre et en Laponie — lui offrent la chance d’appréhender le monde au travers d’autres édifices de valeurs, d’autres représentations, peut-être plus essentielles.

Ces expériences l’amènent à se remettre en question, mais un peu tard à son goût … Avec le recul il aurait peut-être aimé suivre une voie qui correspond plus à ses aspirations d’aujourd’hui, par exemple dans les sciences humaines et sociales comme l’anthropologie, la sociologie, le journalisme ou les sciences politiques, plutôt que de suivre cette voie à laquelle son profil ou son parcours le “destinait”. Il aurait en tous les cas aimé avoir plus tôt la démarche d’aller explorer, plutôt que de suivre ce chemin tout tracé qui l’amène à cette petite crise existentielle en sortant d’études ; mais n’est-ce pas justement ce parcours atypique qui l’a construit comme il est ?!

Quoi qu’il en soit, un peu perdu, il se met à chercher une opportunité plus en accord avec ses valeurs, un projet qui fasse sens, et auquel il ait l’envie profonde de contribuer ; un volontariat, si possible à l’étranger, et pourquoi pas dans les camps de réfugiés, tandis que la “crise migratoire européenne” explose à l’époque.

J’avais besoin de me sentir utile ; de faire partie de la solution, plutôt que du problème. (comme le dit si bien Joey Starr dans le morceau “on est encore là” du groupe NTM)

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Conférence Jute Lab © Low-tech Lab

Le jute, premier pas vers le Low-tech Lab #

En 2016, c’est au Jute Lab - peut-être que ce nom vous dit quelque chose ? Ce sont les prémices du Low-tech Lab - qu’il trouve son bonheur ! Il part alors, initialement pour 1 an de service civique au Bangladesh, rejoindre une petite équipe déjà sur place afin de participer à concevoir, prototyper et diversifier des applications locales des fibres naturelles endémiques de la région comme le jute, autrement appelé “l’or du Bengale”. Il travaille notamment sur le lancement d’un projet de concours de design à partir de ces matériaux, auprès d’étudiants de différentes universités locales, représentant pour lui l’occasion de mettre en application ses compétences de design, de conception, de modélisation et de prototypage, mais aussi d’animation, de coordination et de communication. Et au passage, cette expérience dans sa totalité — la perspective de vivre un an au cœur d’un projet utile au milieu du monde rural Bangla — représente en réalité une chance inouïe , d’étoffer sa curiosité pour l’anthropologie.

Malheureusement après à peine plus d’un mois sur place, le couperet tombe : c’est le rapatriement obligatoire en France à la suite d’attentats à répétition pendant cette période — le pays n’est pas épargné par la série d’évènements dramatiques que connaissent la France et bien d’autres pays à la même période. Cette mission d’un an au Bangladesh se retrouve donc compromise …

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Visite de Nowapra jute © Low-tech Lab

Quentin et ses collègues, Marion et Valentin, se retrouvent alors à Concarneau, véritable port d’attache de l’association Gold of Bengal (qui en parallèle de ses activités historiques au Bangladesh, vient de voir partir Nomade des Mers pour un tour du monde des low-tech !), mais ce changement de plan n’entache quasiment pas le moral de l’équipe. Ils et elle décident, non seulement de maintenir ce projet de co-design de mobilier avec des étudiants Bangladeshi, à distance et par le biais de missions ponctuelles sur place, mais également de monter un autre projet dans un nouveau secteur : celui de l’industrie automobile. L’opportunité se présentent alors qu’ls et elle entrent en contact avec un fabricant automobile artisanal et solidaire malgache, Karenjy, qui construit depuis quelques années à l’époque des carrosseries 100% en composite, un type de matériaux techniques dont le Jute Lab a justement pour mission de développer les procédés de mise en œuvre à partir de fibre de jute. Mais non content·e·s de montrer qu’il est possible d’intégrer des matériaux plus soutenables socialement et environnementalement dans ce secteur porteur, leur but est plus global. C’est de faire la preuve qu’on peut penser et fabriquer des véhicules autrement, dans une démarche de valorisation des ressources et savoir-faire locaux, de respect voire d’émancipation des travailleurs des filières impliquées, et à des fins d’utilité sociale locale. Une collaboration commence alors entre Kaïros Environnement (le bureau d’étude spécialisé dans les biomatériaux avec lequel l’association partage des locaux à Concarneau) le Jute Lab et Karenjy ; c’est la naissance du projet Agami du Low-tech Lab !

Concrètement, le projet vise dans un premier temps à développer des solutions techniques, des usages, et des modèles économiques alternatifs pour une mobilité plus low-tech : un moteur capable de tourner à différents diesels fabriqués à partir de déchets agricoles, alimentaires et plastiques, et des matériaux recyclés et recyclables, renforcés en fibres naturelles, une conception et une fabrication simplifiée, modulaire et à but socio-économique. Puis à les mettre à l’épreuve du terrain, en les intégrant à un véhicule prototype (un vrai concept-car low-tech !) et en montant une grande expédition à son bord ! Sur le modèle du Nomade des Mers mais version terrestre : partir à la rencontre d’acteurs de la low-tech, et cette fois-ci s’intéresser, au-delà de la technique, à leurs façons de s’organiser localement pour diffuser des innovations low-tech à l’échelle collective ; toujours cette attirance pour le travail de l’anthropologie, se mettre à la place de l’autre pour mieux questionner nos propres modèles. Malheureusement, début 2020, alors que les développements arrivent à leur terme et que l’équipe s’apprêtent à partir pour assembler cette voiture expérimentale à Madagascar, le projet subit un nouveau coup d’arrêt : la pandémie de coronavirus … Décidément !

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Visite de Gloster jute © Low-tech Lab

Les Enquêtes du Low-tech Lab #

Entre 2017 et 2018, suite à son service civique, Quentin reste engagé bénévolement au Low-tech Lab pendant 6 mois pour lancer le projet Agami ; en parallèle de quoi il développe, en tant qu’indépendant et avec Marion, des méthodes de facilitation et d’intelligence collective à destination d’entreprises, d’écoles, d’associations, etc. En 2018, une première levée de fonds qui avait déjà permis d’embaucher Margaux, experte en biocomposites, lui permet de se salarier à temps plein sur Agami, tandis que Marion monte de son côté son entreprise de facilitation. En 2019 il réalise avec les membres de l’équipe de l’époque, Julie, Clémentine, Camille et Julien, que la méthode d’enquête développée en amont de l’expédition marche déjà très bien en France ! Et pendant le premier confinement, il et elles opèrent, avec les partenaires bangla, malgaches et français du projet Agami, eux aussi touchés par la pandémie, une redéfinition du projet, qui devient le projet des Enquêtes du Low-tech Lab..

Le but n’est plus de faire une grande expédition automobile internationale, mais de partir plus modestement en France et dans quelques pays d’Europe, pour découvrir, documenter et diffuser des modèles économiques avec des valeurs proches de la démarche low-tech, afin que tous·tes les motivé·e·es et convaincu·e·s puissent s’en inspirer, les répliquer et in fine que la démarche low-tech passe à plus grande échelle de façon cohérente, nourrie d’un imaginaire de société plus low-tech.. Le projet obtient le soutien de l’ADEME puis de la Région Bretagne, et fin 2020 c’est parti pour une tournée des acteurs de la low-tech ! En tout, Quentin rassemble plus d’une douzaine de profils variés, monte des équipes d’enquêteurs et d’enquêtrices ponctuelles avec lesquelles il réalise une dizaine d’enquêtes de terrain, en cours de diffusion sur les réseaux sociaux et site internet du Low-tech Lab. Retrouvez-les ici.

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Enquête avec L'Atelier Paysan © Julien Lemaistre

Quentin le passionné, les sujets qui l’inspirent #

Ce qui me passionne, c’est de voir à quel point aujourd’hui, dans plein de milieux et de territoires différents - qui ne sont pas forcément ceux qui sont les plus mis en lumière par les médias et les institutions publiques - il y a des gens qui essayent de faire autrement, de changer par le bas la direction que prend notre société. On essaye d’être plus utile aux autres, et plus autonomes collectivement, de faire plus local, plus sensé, plus soutenable, plus juste aussi, avec différents objectifs, différents courants de pensée ou de philosophie.
Ce qui m’intéresse c’est de montrer que dans toutes les sociétés, ici et ailleurs, aujourd’hui et depuis des millénaires, il y a des systèmes de valeurs et des histoires qui conditionnent des modèles d’organisation, des modèles de gouvernance, des rapports au temps, au vivant, au travail … qui sont complètement différents des nôtres. En fait, il y a un champ des possibles extrêmement large dans nos façons de faire et de fonctionner ensemble. Simplement, on ne s’en rend pas compte, ou plus compte, que notre modèle économique et nos institutions ont été créées suite à des choix, dans des situations bien particulières, face à des crises graves, avant de devenir des impensés : “on a toujours fait comme ça”. On oublie que l’on peut encore faire différemment aujourd’hui. Alors que c’est un fait : on peut tout à fait aller dans une autre direction que celle que l’on voit et que l’on croit être la seule possible !

J’ai envie de comprendre quels ont été les choix et les mécanismes cognitifs, politiques, économiques, anthropologiques, qui nous ont amenés à cette sorte de sens unique, qui mène a priori à un méchant cul-de-sac. Et en même temps de voir comment ces mécanismes-là, peuvent encore être mobilisés aujourd’hui par les récits, par l’exemple, par certaines politiques publiques, par « l’encapacitation » et la reprise de pouvoir démocratique des citoyens à l’échelle locale, etc. par plein de leviers différents. Comment est-ce qu’on peut, collectivement, localement, par le bas et par le haut en même temps : questionner, débattre, choisir, redéfinir notre « trajectoire collective », de société ?

Alors, le message que je défends, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, pour changer de métier, pour s’engager et s’entraider localement, et qu’il n’y a aucun obstacle infranchissable. Qu’il est possible de faire différemment et qu’il y a déjà tellement d’exemples, qu’il suffit de s’y pencher avec un peu d’humilité pour changer de regard sur le monde, pour réaliser que ce n’est pas triste, plutôt réjouissant et enthousiasmant même, et pour s’inspirer de toutes ces expériences émancipatrices Ce premier verrou — parce que justement il est le premier — est le plus dur à faire sauter dans nos cerveaux et nos corps emprisonnés. Mais une fois cette étape franchie, la suite vient toute seule, devient une passion, parfois un jeu : quel rôle je veux jouer dans l’avènement de ces autres possibles ? par où et quoi je commence ? avec qui ?

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Enquête Océane Alimentaire © Julien Lemaistre

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