[NOMADE DES MERS] New-York - Un réseau mondial de cuisinier.e.s solaires !
Date de publication : 21 Novembre 2021
Auteur : Guénolé Conrad
Localisation : New-York, USA
De passage à New-York, l’équipage du Nomade des Mers a pu rendre visite à une organisation particulièrement inspirante, certain.es diraient même rayonnante : Solar Cookers International (SCI). Cette organisation travaille depuis des années à la promotion, à la recherche et à la mise à disposition de ressources pour la diffusion de la cuisine solaire dans le monde.
Les enjeux de la cuisson solaire
Avant d’en venir à notre rencontre avec Alan Bigelow, le Directeur Scientifique de SCI, dressons un rapide tableau des enjeux de la cuisson solaire dans le monde :
En 2021, plus de 3 milliards de personnes, soit 3 personnes sur 7, cuisinent quotidiennement en brulant du bois, des déjections animales ou du charbon. La plupart de ces personnes vivent dans les pays dit « du Sud » où le soleil est extrêmement abondant. La cuisson solaire a donc un immense potentiel pour plusieurs raisons :
- Economique : Pour de nombreuses familles, l’achat de combustible pour la cuisson représente jusqu’à 30% des revenus annuels. Le soleil est une ressource gratuite et abondante.
- Sanitaire : La fumée de combustion est responsable de nombreuses maladies (respiratoires, ophtalmiques, etc) touchant principalement les femmes et les enfants. La cuisson solaire n’en produit pas. Elle peut également servir à stériliser de l’eau.
- Environnemental : La cuisson solaire pourrait permettre d’enrayer une partie de la déforestation mondiale et des émissions de CO2 dû à la cuisson par combustibles.
- Emancipation : La cuisson solaire peut créer de nombreuses opportunités économiques. Des restaurants, des boulangeries, des salons de thé voire même des pressings solaires éclosent un peu partout dans le monde !
- Parce que c’est délicieux et marrant ! (ça d’accord, c’est notre point de vue)
Pourtant aujourd’hui, la cuisson solaire est encore très largement sous-utilisée. Pourquoi ?
- Le manque d’information de la population et des décideurs politiques sur ces solutions.
- Le marché du four solaire manque d’investissement et de mesures certifiées pour en faire des solutions reconnues et accessibles partout.
- L’énergie gratuite, ça n’est pas rentable pour tout le monde… (ça d’accord, c’est aussi notre point de vue)
Dans l’oeil du cyclone
Le tableau est dressé, revenons-en à notre escale. De passage pour plusieurs semaines à New-York City, nous nous devions d’aller rendre visite à cette organisation que nous admirons et dont nous utilisons régulièrement le travail. Mais, la veille de notre rencontre, la ville est frappée de plein fouet par l’Ouragan Ida, plongeant des milliers de personnes dans le noir et sous les eaux… Pour nous, la nuit est longue et stressante, nous expérimentons même le fameux « Œil du cyclone » mais heureusement pas de casse. Le corps-mort tiens le choc. Quel rapport avec notre sujet ? J’y viens.
Le lendemain, c’est sous un grand soleil mais dans un décor apocalyptique que nous nous rendons chez Alan Bigelow en périphérie de la ville. Il nous reçoit, le contenu de son congélateur sur la table en disant «Le quartier est privé d’électricité depuis hier. Nous n’avons ni congélateur, ni four électrique, ni plaques à induction ; quelle meilleure opportunité de vous montrer en direct l’intérêt d’un four solaire ?! ». Les yeux ébahis, nous découvrons son jardin. Des fours solaires, des concentrateurs et des séchoirs solaires de toutes formes fonctionnent déjà à plein régime. C’est un véritable banquet solaire qui nous attend !
Un procédé d’évalution standardisé pour les cuiseurs solaires
« Si j’ai autant de différents fours solaires chez moi, ce n’est pas juste parce que je suis gourmand. En tant que Responsable Scientifique chez SCI, je conduis des essais de performances sur de nombreux fours solaires disponibles sur le marché. Tout comme le nombre de kilomètres par litre est important pour les automobilistes, la puissance de cuisson standard des cuisinières solaires est utile aux clients pour prendre des décisions éclairées. Jusque-là ces chiffres n’existaient pas. Chaque fabriquant pouvait dire « Mon four solaire est le meilleur du monde ! ». Nous avons mis au point un Procédé d’Evaluation des Performance (PEP) en conformité avec l’Organisation Internationale pour la Standardisation (ISO) qui permet d’attribuer une puissance de cuisson standard en Watt à chaque modèle. Le protocole de mesure est le suivant :
- Nous remplissions le cuiseur solaire d’un volume d’eau proportionnel à sa taille.
- Sur une période de 4 heures d’affilées, centrée sur midi, nous mesurons la température de l’eau en continue et la comparons à la température extérieure. Nous reproduisons ces mesures 3 jours consécutifs.
- En parallèle, nous mesurons la quantité d’énergie disponible ce même jour. Nous mesurons la vitesse du vent et l’irradiance, c’est-à-dire la puissance lumineuse reçue par une surface donnée. En dessous de certains seuils, les mesures ne peuvent pas être conservées.
- Dans ce cadre, l’évolution de la température au cours du temps nous permet de donner une puissance de cuisson standard.
Les résultats des tests PEP permettent aux fabricants de partager des affirmations fondées sur des preuves pour leurs cuiseurs solaires. En tant qu’organisation, nous ne faisons la promotion que des modèles ayant réalisés ces tests. Mais avant de continuer, à table ! »
Du plaidoyer à L’ONU
Frites solaires en apéro, pâtes au pesto du jardin, tomates séchées au soleil… Les plats se succèdent. On se régale. Entre deux bouchés, Alan nous explique son autre rôle :
« Mon autre mission au sein de SCI est le plaidoyer, en particulier aux Nations Unis. Nous incitons les dirigeants politiques à faire rentrer la cuisson propre et durable dans leurs Contributions Déterminées au niveau National (NDCs) pour atteindre l’accord de Paris 2015. Et nous avons quelques belles victoires ! En 2020, le gouvernement du Kenya a officiellement fait rentrer la cuisson solaire comme critère pour atteindre ses Objectifs de Développement Durables (SDGs). Cela peut par exemple donner lieu à des politiques publiques incitatives pour l’achat ou le développement des cuisinières solaires. C’est très important pour donner de la crédibilité à ces solutions encore peu connues.»
Une communauté de partage mondiale
Mais le plus bel exploit de SCI est surement d’avoir réussi à constituer une immense communauté de partage autour de la cuisson solaire.
« Pour faciliter l’émergence et la montée en compétence de ce grand réseau, nous utilisons un Wiki. On y trouve:
- Une carte, recensant des milliers d’inventeurs, d’entreprises, d’ONG en lien avec la cuisson solaire dans 142 pays du monde. Cela facilite l’identification et la mise en relation de ces projets.
- Quelques 115 plans et notices open-source pour construire son four solaire. Du plus simple au plus complexe.
- Un calendrier d’évènements en lien avec la cuisson solaire
- Des centaines de ressources documentaires, publications scientifiques et guide de formations en différentes langues
- Un blog et un forum pour échanger et suivre les actualités du réseau.
Nous tentons également de mettre en lumière les plus belles « success story » autour de la cuisson solaire. On nous rapporte ainsi que boulangeries solaires ouvrent en Haiti, qu’un vendeur ambulant offre du thé solaire au Népal, qu’une femme fait du repassage grâce à un concentrateur solaire en Inde et qu’un restaurant propose de la cuisine solaire en France… Les possibilités sont infinies. Ce n’est que le début de la révolution solaire ! »
Le travail de ces passionnés est pharaonique. En tant qu’organisation œuvrant à l’émergence d’une communauté autour des low-tech, on doit dire que le travail de SCI fut particulièrement inspirant. Aujourd’hui, on récence quelques 5 millions de cuisinier.e.s solaires dans le monde et de nouveaux projets éclosent chaque jour.
Le soleil n’a pas fini de nous régaler.